La crise provoquée par la pandémie du Covid-19 a révélé les faiblesses, carences, lacunes et autres dysfonctionnements dans l’action du gouvernement. Les ratés sont nombreux. Et comme touchés par une malédiction, les ministres n’arrivent presque plus à faire les choses comme cela se devrait. A la vérité, ce gouvernement ne peut pas aller plus loin, au risque d’abîmer l’image du chef de l’Etat et de finir par compromettre tout ce que le Président Macky Sall a eu à réussir dans sa gouvernance publique.
Arrêtez de nous faire peur !
Les populations appréhendent, la peur au ventre, le rendez-vous quotidien du ministre de la Santé et de l’action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, pour donner les statistiques de l’évolution de la pandémie au Sénégal.
Le ministre apparaît toujours tétanisé, comme si le monde s’effondrait sur sa tête. L’image d’un ministre tremblotant qui bafouille, qui bute sur les mots, qui manque de sérénité et affiche une peur visible, s’offre tous les jours sur nos écrans de télévision. L’émotion se transmet ainsi aux populations qui finissent par se dire que manifestement le gouvernement ne leur dit pas tout dans cette histoire de propagation de la pandémie.
La même image a été laissée aux téléspectateurs par le ministre du Développement communautaire, de l’équité sociale et territoriale, Mansour Faye, qui suait à grosses gouttes quand il avait à présenter le programme de distribution de secours aux populations. Pour parler de la perspective de reprise des enseignements dans les universités et instituts de formation, le ministre de l’Enseignement supérieur, Cheikh Oumar Hanne, a suffoqué d’émotion, jusqu’à finir par arracher, d’un geste désespéré, son masque de protection.
Le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, subitement gagné par on ne sait quelle phobie, s’était permis d’envoyer des policiers pour arrêter des émissions sur des chaînes de télévision, au motif que les présentateurs n’avaient pas porté des masques barrières.
La fébrilité est à un point tel que quand la compagnie Air France avait esquissé un programme de desserte éventuelle de quelques aéroports, les autorités sénégalaises avaient piqué une crise de nerfs, montant sur leurs grands chevaux, estimant que la démarche du transporteur aérien heurtait la souveraineté du pays. Si les membres du gouvernement se montrent ainsi, c’est, voudraient croire de nombreuses personnes, parce que la situation est plus alarmante qu’on ne le dit. Pourtant, force est de constater que la réalité de la situation de la gestion du Covid-19 a des allures d’une banale épidémie au Sénégal. On ne le dira jamais assez, le Covid-19, depuis le 2 mars 2020, date de confirmation du premier cas de maladie au Sénégal, a infecté près de 3 800 personnes, soit deux cents fois moins que le nombre de personnes malades tous les ans de paludisme (750 mille).
Le Covid-19 a déjà tué 45 personnes, c’est-à-dire moins du dixième du nombre de morts causés, tous les hivernages, par le paludisme. Nous rappelions ainsi, dans ces colonnes le 14 mai 2020, que les statistiques montrent que le taux de mortalité au Sénégal est de 7,9 pour 1 000, soit quelque 118 mille morts par an, sur une population moyenne de 15 millions d’habitants. Chaque année on recense plus de 13 mille cas de tuberculose avec plus de 300 décès. 3 000 enfants meurent chaque année de pneumonie. C’est dire que le Covid-19 tue beaucoup moins que les autres pathologies.
Pourquoi alors afficher une telle frousse quand on a à parler du Covid-19, au point de perdre tous ses moyens ?
La ministre porte-parole du gouvernement, Mme Ndèye Tické Ndiaye, est totalement absente sur cette question et on croirait que les différentes personnes qui montent au créneau, l’air supplicié, n’ont pas été préparées ou outillées pour s’adresser au public dans cette situation de crise.
Les éléments de langage font défaut et elles finissent par embrouiller les populations. Par exemple, le ministre de la Santé a dramatisé à l’excès, samedi dernier, le nombre de cas de personnes infectées dans la région de Dakar (environ 1 300 cas encore sous traitement), affirmant même qu’une catastrophe épidémiologique se déroule à Dakar, plus que partout ailleurs au Sénégal.
Abdoulaye Diouf Sarr annonce que les mesures de restriction des activités des populations seront envisagées pour cette semaine. Dans le même temps, le ministère de l’Education nationale rouvre partiellement les écoles et le ministère de l’Intérieur envisagerait lui aussi d’assouplir les horaires du couvre-feu et d’autoriser la réouverture des restaurants.
C’est finalement à ne rien y comprendre dans une telle cacophonie. Il reste qu’on ne soulignera jamais assez que moins de 2 000 cas à Dakar, pour une population de plus de 5 millions d’habitants, donne une prévalence plus faible que 65 cas par exemple à Tambacounda, avec une population de l’ordre de 100 mille habitants. Essaie-t-on de semer la panique générale pour justifier la mobilisation de ressources budgétaires à consacrer aux activités de santé ?
Ou chercherait-on à susciter l’émoi, la commisération sur le sort d’un pauvre Sénégal en péril, dans l’objectif de pouvoir implorer la générosité ou la mansuétude de bailleurs de fonds ? Ce serait sans doute trop bien élaboré comme stratégie ! L’émotion des membres du gouvernement révèle plutôt leur incapacité à prendre en charge les questions qui se posent et à leur apporter de bonnes réponses.
Ce n’est pas toujours parce que les gens ne vous aiment pas
Il faut dire que la gestion de la pandémie a mis à nu des tares et des situations d’incompétence qu’on pouvait difficilement soupçonner de la part de nombreux ministres et de leurs collaborateurs. Il s’y ajoute de réels cas d’une mal-gouvernance outrageante.
L’heure des comptes de l’utilisation de l’enveloppe de 1 000 milliards de francs, prévue pour les actions de riposte contre le Covid-19, est partie pour donner des situations de grandes et délicates controverses. On va se féliciter cependant que le ministre des Finances et du budget, Abdoulaye Daouda Diallo, a pour l’heure tiré son épingle du jeu, car personne n’a pu dire que des fonds ont pu manquer.
Toutes les dotations prévues sont mobilisées dans les délais demandés. Malheureusement, les ministères techniques n’arrivent même pas à faire le marché convenablement. Les services du ministre Mansour Faye n’ont pas su acheter du riz, de l’huile, du sucre, du savon ou des détergents, transporter ces denrées jusqu’aux chaumières et les distribuer aux populations, sans être poursuivis par la clameur populaire.
Les populations n’ont pas encore reçu les vivres qui étaient destinés à alléger les rigueurs des situations de restriction des déplacements des populations. Finalement, les vivres risquent d’être distribués après la levée des mesures de restriction. Cela donne raison à toutes les personnes qui avaient indiqué qu’il était plus opportun et pratique de distribuer des pécules ou des bons d’achat aux populations, comme l’ont d’ailleurs fait des pays comme le Maroc ou la Tunisie. Mais le gouvernement du Sénégal ne semble même pas être capable de distribuer de l’argent à des bénéficiaires déjà identifiés. On déplorera la pagaille vécue au Consulat général du Sénégal à Paris, à l’occasion des opérations de distribution de pécules aux Sénégalais de l’extérieur.
Les services de Amadou Ba, ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, n’ont pas voulu envoyer les sommes dégagées par les moyens et circuits modernes. Quelle est cette manie de vouloir rassembler des milliers de personnes dans un contexte où tous les pays préconisent des mesures de distanciation sociale ? On n’a assisté aux mêmes scènes que lors des paiements de bourses aux étudiants de l’Université de Dakar. Encore une fois, l’image du Sénégal en a pris un sacré coup.
Le pire est à craindre, car la plateforme dédiée aux inscriptions pour bénéficier de ces aides aux Sénégalais de l’extérieur a enregistré bien plus de demandes que ne pourrait couvrir la dotation budgétaire prévue. Personne n’avait jugé devoir arrêter les inscriptions, une fois les limites budgétaires atteintes. Voudrait-on forcer la main au gouvernement pour rallonger les crédits ? Allez savoir !
De toute façon, les personnes inscrites qui n’auront pas été servies pourront crier au scandale. Le Sénégal aura été le seul pays au monde à distribuer de l’argent à des ressortissants établis à l’étranger pour les aider à faire face aux rigueurs résultant de la pandémie. Sans doute que notre grande richesse nationale nous y autorise, mais on se demande si cet argent n’aurait pas été plus utile s’il avait servi à construire un hôpital ou des centres de santé ?
Le Général François Ndiaye risque de n’y voir que du feu
Le ministère de l’Education nationale et la société Dakar dem dikk n’ont pas été capables d’organiser sans encombre le convoyage de groupes de personnes à travers le Sénégal. Ils avaient tout le temps pour préparer cette rentrée annoncée depuis plus d’un mois. On a encore assisté à des scènes de bousculade pour trouver de la place dans les bus affrétés pour permettre aux enseignants de rejoindre leur poste, afin de pouvoir reprendre les cours. Aussi, personne n’avait eu assez de présence d’esprit pour prévenir les autorités frontalières de la Gambie, du passage de certains convois de bus.
Le même ministère de l’Education n’a pas su fournir des kits décents aux écoles pour se préparer à la reprise des cours. Un rapide calcul montre que les kits ridicules (comprenant un sceau en plastique, un flacon de gel hydro alcoolique, deux flacons de détergent et quelques dizaines de masques) distribués aux 4 023 écoles privées du Sénégal indique que cela ne devrait pas coûter au total la somme de 100 millions de francs Cfa.
Encore une fois, l’heure des comptes ne manquera pas de laisser de la colère à de nombreuses personnes. On a vu sur les écrans de télévision le ministre de l’Industrie, Moustapha Diop, qui a reçu une dotation de 2 milliards de francs pour faire des masques, livrer, non sans ostentation, un lot de masques à son homologue Aly Ngouille Ndiaye. On saura par la suite que l’opération procédait d’une supercherie, car le ministre de l’Industrie avait fait filmer un stock de masques commandés par la Délégation générale à l’entreprenariat rapide (Der/Fj).
Le gouvernement a inventé la formule de dons de matériels et d’équipements entre ministères ou d’emprunter du matériel et le présenter comme une nouvelle acquisition. C’est aussi le geste de Abdoulaye Diouf Sarr qui avait exhibé, devant les caméras, des centaines de lits et d’appareils d’assistance respiratoire et autres équipements médicaux, prélevés des stocks de l’hôpital Dalal Jamm de Guédiawaye, ou qui étaient destinés aux nouveaux hôpitaux en chantier de Touba, Sédhiou, Kaffrine et Kédougou.
Le ministre de la Santé a également défrayé la chronique pour avoir commandé des matériels pour une valeur de 2 milliards de francs à une personne proche de sa famille.
En outre, le Président Macky Sall avait estimé devoir donner un coup de pouce aux médias et les mobiliser davantage pour participer à la sensibilisation des populations aux comportements adéquats pour limiter la propagation de la pandémie. Il avait décidé du doublement de la dotation budgétaire dédiée à l’aide à la presse.
Le ministre de la Culture et de la communication fera fausse route, en faisant une répartition selon des procédés et des critères ignorés par les bénéficiaires. Abdoulaye Diop a essuyé des accusations de malversation dont il ne pourra se laver qu’en publiant la liste exhaustive des médias bénéficiaires et les montants reçus, afin que chacun puisse en avoir le cœur net sur les sommes dûment versées aux entreprises de presse. C’est dire que le général François Ndiaye et les membres du Comité de suivi de «Force Covid-19» auront beaucoup de mal à y voir clair dans toutes ces turpitudes.
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