Sport, dopage et corruption… Le procès de Lamine Diack, l’ancien patron de la Fédération internationale d’athlétisme a repris hier devant le tribunal correctionnel de Paris et devrait prendre fin le 18 juin prochain. Lamine Diack est soupçonné d’avoir mis sur pied un vaste système de corruption destiné à protéger des athlètes russes dopés. Il est jugé ainsi que son fils Papa Massata Diack qui, lui, vit toujours au Sénégal. Journaliste d’investigation au quotidien français « Le Monde », Yann Bouchez a pu consulter le dossier d’instruction. Sur les ondes de RFI, il revient sur les faits.
C’est un procès hors du commun qui commence aujourd’hui. Que peut-on en attendre ?
Yann Bouchez : Oui, c’est un procès hors du commun déjà parce que le principal prévenu, Lamine Diack, est un ancien président de la Fédération d’athlétisme pendant 16 ans, de 1999 à 2015. En fait dans ce procès, il y a deux affaires en une. D’un côté, les cas de dopage dans l’athlétisme russe qui auraient été mis sur le tapis en échange d’argent. Et de l’autre, de l’argent qui aurait été détourné en marge de contrats de sponsoring, et là, les sommes s’élèveraient à plusieurs millions d’euros. Donc, tout l’enjeu du procès va être de bien comprendre comment tout ce pacte de corruption a pu avoir lieu.
Une affaire qui mêle le sport au business, le dopage, les relations de famille. Tout y est ?
Oui. Tout y est. Et on pourrait ajouter la géopolitique aussi, puisque la Russie qui est un grand pays de l’athlétisme où le dopage a été institutionnalisé avec des hauts dirigeants impliqués. Et la Russie aurait trouvé en Lamine Diack et en son fils deux alliés de poids pour mettre sous le tapis des cas de dopage.
Une affaire qui mêle aussi la politique puisque Lamine Diack a reconnu que de l’argent avait servi à financer la campagne de 2012 au Sénégal pour faire perdre Abdoulaye Wade…
Oui. Lamine Diack l’a reconnu devant les enquêteurs fin 2015. Il a expliqué qu’ils avaient trouvé une sorte de marché, de pacte avec les Russes pour cacher des cas de dopage, ne pas les révéler en échange d’un million et demi d’euros pour financer des élections au Sénégal.
Y a-t-il des éléments accablants dans le dossier que vous avez pu consulter ?
Oui, il y a des éléments accablants qui se trouvent notamment dans les transferts d’argent depuis les différentes sociétés de Papa Massata Diack, son fils. Il y a des dizaines et des dizaines de virements. On arrive à reconstituer les flux d’argent et notamment, le chantage fait à certains athlètes russes et les sommes reçues. Il y a notamment une société écran à Singapour, qui s’appelle « Black Tidings », et qui a été utilisée pour, à un moment, rembourser une athlète russe, une marathonienne russe très connue, Liliya Shobukhova, et qui, elle, était mécontente parce qu’elle avait payé des centaines de milliers d’euros pour justement passer entre les mailles du filet, et elle a eu des problèmes finalement avec l’Agence anti-dopage. Donc, elle s’est retournée en disant : moi, j’ai donné de l’argent et au final, je ne suis pas protégée, remboursez-moi. Et donc cette société basée à Singapour a remboursé Liliya Shobukhova. Et c’est cela qui a fait démarrer l’affaire fin 2015, c’est qu’on a la preuve de ces virements.
Cela signifie-t-il, si les accusations sont fondées, que des fonds russes auraient pu financer la campagne électorale de Macky Sall et de ses alliés ?
Ce n’est pas possible de le dire comme ça pour l’instant, c’est-à-dire que sur ce volet de l’affaire, la justice française n’a pas pu l’établir parce que, d’une part, les autorités sénégalaises n’ont pas coopéré, donc les magistrats français n’ont pas pu avoir accès à certains comptes bancaires au Sénégal de Papa Massata Diack. Donc, toute cette partie autour des élections sénégalaises ne sera pas jugée devant la 32ème chambre correctionnelle du tribunal de Paris qui va juger Lamine Diack. Lui, il sera jugé pour « corruption », pour « blanchiment aggravé » et pour « abus de confiance ». Il ne sera pas jugé pour un « financement illicite de campagne ». D’ailleurs, je pense que la justice française s’est dit aussi que ça, c’était peut-être des affaires sénégalaises et que Dakar enquêterait s’il le voulait sur le sujet.
Quelle est la ligne de défense de Lamine Diack ?
Déjà, du côté de Macky Sall, on a toujours démenti avoir touché de l’argent russe durant les élections. Lamine Diack, lui, est revenu un peu en arrière par rapport à ses propos de fin 2015 devant les enquêteurs. Il a dit que, lors des élections sénégalaises, il y avait des jeunes qui s’étaient mobilisés et qu’il avait « misé » sur eux, qu’il avait financé mais qu’il n’avait pas financé un candidat en particulier. Donc, il s’est bien gardé de donner des noms. Quant à Papa Massata Diack, son fils, il parle dans les médias régulièrement du plus « gros mensonge de l’histoire » et il évoque « un complot ». Pour l’instant, il n’a pas avancé de documents qui viendraient étayer ce complot, mais on verra pendant le procès s’il y a de nouveaux éléments qui sont apportés. Et on devrait peut-être avoir plus d’éclaircissements d’ici au 18 juin. Tout dépendra de la ligne de défense adoptée par Lamine Diack : est-ce qu’il va dévoiler un peu les arcanes de la Fédération internationale d’athlétisme et du fonctionnement qu’il pouvait avoir avec son fils à l’époque. C’est tout l’enjeu du procès.
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