Au micro de RFI, le désormais ex-ministre Secrétaire général du gouvernement Abdou Latif Coulibaly justifie sa démission Entretien.
« Pourquoi j’ai démissionné »
« J’ai décidé de partir, de quitter le gouvernement. Je l’ai annoncé au président de la République immédiatement après son discours. J’ai décidé de partir parce que j’ai envie de retrouver toute ma liberté. Ma liberté de pouvoir exprimer mes opinions, de pouvoir également dire ce que je pense par rapport à ce qui se déroule aujourd’hui dans mon pays, parce que je considère qu’il y a des moments de l’histoire où on ne doit pas se taire, où on ne doit pas respecter la solidarité gouvernementale au point d’être complètement en-dehors. »
« Il a décidé de renoncer à ça »
Tout à fait. Parce que je me suis dit, le président de la République n’avait pas le pouvoir de le faire, l’Assemblée nationale encore moins, et la raison est très simple : en 2016, nous avons parcouru le Sénégal et le président Macky Sall avait raison de procéder à la réforme de la Constitution pour faire en sorte que le mandat du président de la République dans sa durée, comme dans le nombre de mandats, soit érigé en un principe intangible : la loi est sublimée pour faire en sorte que le mandat ait le même caractère et la même nature juridique que l’intangibilité du caractère républicain de l’État sénégalais. Et nous étions d’accord avec lui, et c’était bien de la faire. Et aujourd’hui lui.
« Macky disait que Wade ne peut même pas augmenter son mandat d’une seule journée »
Ce n’est pas que je conteste… Je constate simplement que nous avons rejeté tout ce que nous avons dit et tout ce dans quoi nous avions engagé les Sénégalais en 2016. Le président lui-même disait en 2012, quand le président Obasanjo [ex-chef d’État du Nigeria, NDLR] venu comme observateur avait suggéré l’idée de reporter l’élection de 2012, lui-même disait qu’il n’est pas envisageable ni même possible que le président de la République, lui-même, puisse augmenter d’une journée son mandat.
« Wade a laissé les Sénégalais le juger »
C’est vous qui avez dit que la campagne semble avoir du mal à décoller. C’est un jugement que vous avez porté. Vous n’avez pas vu les sondages qui sont faits au Sénégal. Moi j’en ai vu, j’en ai vu de mes propres yeux. Croyez-moi quand je vous le dis. Ce jugement que vous avez porté n’est pas exact. Deuxièmement, ce n’est pas parce que la campagne d’Amadou Ba a du mal à décoller qu’il fallait en conclure qu’il faut annuler l’élection de février, ce n’est pas imaginable. Lui-même, Macky Sall en 2012, il avait moins de 27% des suffrages. On aurait pu dire que sa campagne décollait mal. Abdoulaye Wade en est sorti avec moins de 40 et quelques pourcents, sa campagne n’avançait pas. Pour autant, Abdoulaye Wade n’avait pas décidé de supprimer l’élection. Il a laissé les Sénégalais juger.
« Je n’ai pas de mots pour qualifier ça »
« Je n’ai pas de mots pour qualifier ça, ça me dépasse totalement, c’est la raison pour laquelle je suis parti. Si j’avais des mots pour qualifier ce qui se passe… Et la chance, c’est qu’il m’a fait l’amabilité de m’écouter, je lui ai expliqué mon point de vue. Je suis un citoyen sénégalais, j’ai toujours dit qu’il y avait deux choses qui étaient essentielles et sacrées pour moi : l’État et la République. C’est en la République que nous croyons, c’est avec elle que nous sommes forts, sans elle nous sommes affaiblis. Personne n’a le droit d’affaiblir la République. Ce qui se passe est qu’on affaiblit la République. »
« Ce report n’est pas un avantage pour Macky Sall »
« Justement, je ne peux pas comprendre ses intentions. Parce que ce report n’est pas un avantage pour lui et ce en rien du tout… Peut-être satisfaire quelque part une demande que je ne réalise pas, dont je ne vois pas l’objectif final. Peut-être est-ce simplement que quand on exerce le pouvoir on croit que tout est possible. Et tout ce qu’on pense devoir faire, on le fait. Oui, mais dans la seule mesure où ça va dans un sens qui se déroule dans le sens de l’histoire que nous voulons pour notre pays. En 2023, le 3 juillet, avec une lucidité remarquable, le président se présente aux Sénégalais et leur dit : je ne serai pas candidat, même si la loi m’en donne le droit. À mon avis il aurait été préférable, s’il voulait rester au pouvoir, de s’engager comme Abdoulaye Wade l’avait fait, d’avoir à faire face à des contestations, ce qui aurait été normal. Il s’est présenté au suffrage des Sénégalais : s’il gagne, il est président de la République, s’il ne gagne pas, eh bien il fait comme Abdoulaye Wade avait fait. »
« C’est encore pire de faire ce qu’il a fait »
« Mais c’est encore pire, le dire, le savoir, et de faire ce qu’il a fait. C’est encore pire ! Pourquoi ? Parce que s’il était candidat, il aurait lui-même participé au cours de l’histoire. Mais, cette fois-ci, il arrête l’histoire. Même momentanément, il l’arrête. Et tout le monde est concerné. S’il se présentait et assumait sa volonté de le faire, il aurait été contesté mais il se serait présenté au suffrage des Sénégalais, les Sénégalais auraient dit oui ou non. Et là, c’est lui-même qui décide du sort global du pays. »
« Un PM qui sa majorité » accuse… »
« Un accord écrit, je ne sais pas, mais un accord sur la démarche et la procédure, c’est évident. La majorité a voté, avec le PDS. Le PDS qui accuse d’ailleurs de façon très grave le Premier ministre d’avoir corrompu des magistrats, et ça, c’est écrit noir sur blanc. Le Premier ministre de la République avec qui on siège au conseil des ministres, avec qui on n’a pas rompu, la majorité l’a accusé comme ça. Il n’est pas devant une haute cour, qui n’existe d’ailleurs plus au Sénégal. Il n’est pas jugé. Et voilà aujourd’hui qu’on le jette en pâture et qu’on jette toute une majorité en pâture. »
« C’est un prétexte dangereux »
« Je dois préciser, et c’est un prétexte tendancieux, cette histoire de corruption. Pourquoi ? Je suis un élu à l’intérieur du pays. Au moment où je vous parle, je suis dans ma base électorale, ma circonscription, j’ai fait tout le département, qui est ma circonscription. Aucun acte de préparation à cette élection n’a été engagé. Or, au Sénégal, nous avons l’habitude, pendant trois mois, de procéder aux préparatifs de cette élection-là, à l’information des électeurs, au pré-positionnement du matériel. Rien n’a été fait, et ça devait se faire bien avant que le Conseil constitutionnel ne se réunisse, ils ne l’ont pas fait. »
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