Les chroniques de la participation citoyenne( 75 )


Sénégal : Le recyclage des élites, un poison pour la gouvernance

Au Sénégal, les changements de régime ne signifient pas forcément une rupture avec le passé. Bien au contraire, ils offrent souvent une nouvelle chance aux mêmes visages qui, après avoir servi sous un pouvoir, se repositionnent habilement sous un autre. Cette constance des élites administratives et politiques, loin d’être le fruit du mérite ou de l’expertise, révèle un système où l’opportunisme prime sur l’éthique, où la survie politique supplante la responsabilité. Comment expliquer cette capacité quasi surnaturelle à rebondir, même après des échecs retentissants ? Pourquoi le peuple accepte-t-il, parfois sans broncher, ces revirements spectaculaires ? Et surtout, quelles en sont les conséquences pour le développement du pays ?
L’art du retournement de veste : une spécialité bien rodée
Dans toute démocratie fonctionnelle, l’alternance politique devrait rimer avec un renouvellement des élites. Mais au Sénégal, l’histoire récente montre que la classe dirigeante n’a pas vocation à disparaître, elle mute. Des ministres déchus, des hauts fonctionnaires écartés, des technocrates discrédités trouvent toujours une porte de sortie. Ils réapparaissent, parfois sous des habits neufs, devenant conseillers du prince du jour, experts médiatiques ou même figures incontournables des nouvelles équipes dirigeantes.
Cette résilience ne relève pas d’une simple coïncidence. Elle s’inscrit dans une culture politique où la fidélité à un régime n’est jamais définitive, où l’opportunisme est une compétence valorisée. Au Sénégal, on ne meurt jamais politiquement. On disparaît temporairement, le temps de négocier un retour en grâce, parfois en changeant radicalement de discours.
Une impunité qui nourrit la résilience des élites
Pourquoi ces figures controversées parviennent-elles à se repositionner aussi aisément ? La réponse tient en un mot : l’impunité. Dans un pays où la reddition des comptes reste un vœu pieux, où les scandales finissent souvent par être oubliés, il est facile de se réinventer. Les anciens responsables, qu’ils aient été impliqués dans des politiques publiques désastreuses ou des décisions douteuses, ne sont presque jamais inquiétés. Mieux encore, ils bénéficient d’un système où le renouvellement est perçu comme un risque et non une nécessité.
Ce recyclage incessant empêche toute véritable introspection sur les échecs passés. Un ministre qui a failli hier peut être promu ailleurs demain, un haut fonctionnaire ayant servi un régime critiqué peut devenir l’architecte des réformes du suivant. Cette continuité empêche une rupture nette avec les pratiques du passé, rendant les alternances presque cosmétiques.
Un verrouillage du système qui bride l’émergence de nouvelles compétences
Loin d’être une simple anomalie, ce recyclage des élites est un frein réel au développement du pays. En verrouillant l’accès aux postes stratégiques, il empêche l’émergence de nouvelles figures compétentes, capables d’apporter des idées neuves et des approches innovantes.
Dans ce contexte, les jeunes talents et les acteurs de la société civile peinent à trouver leur place. L’administration publique et les cercles du pouvoir restent dominés par des réseaux solidement établis, où l’expérience n’est pas évaluée en fonction des résultats, mais de la capacité à naviguer habilement entre les régimes.
Ce conservatisme institutionnel maintient le pays dans un cycle où les mêmes erreurs se répètent, les mêmes politiques inefficaces sont reconduites, et les mêmes acteurs continuent de dicter les orientations nationales.
Briser le cycle : une nécessité pour l’avenir
Si le Sénégal aspire à une gouvernance plus efficace et plus transparente, il est urgent de mettre fin à ce recyclage systématique des élites. Pour cela, plusieurs réformes doivent être envisagées :

  1. Imposer une véritable reddition des comptes : Il est essentiel que les dirigeants, une fois écartés du pouvoir, ne puissent pas revenir sans avoir justifié leur bilan. Un mécanisme de suivi des responsabilités publiques doit être mis en place.
  2. Encourager un renouvellement des élites : Le pays ne peut pas progresser en tournant en rond avec les mêmes visages. Il faut ouvrir la voie à de nouvelles générations de leaders, issus de la société civile, du monde académique et du secteur privé.
  3. Renforcer la transparence dans les nominations : Les postes clés de l’administration doivent être attribués sur la base des compétences et non de l’allégeance politique.
  4. Développer une mémoire collective plus critique : Le peuple doit jouer son rôle de vigie. En refusant de cautionner les revirements opportunistes, en exigeant des comptes, il peut contribuer à assainir la classe dirigeante.
    Le Sénégal ne peut se permettre d’être un éternel terrain de recyclage pour une élite usée. L’heure est venue d’ouvrir une nouvelle ère, où la compétence, l’intégrité et la responsabilité priment sur le carriérisme et l’opportunisme. C’est à ce prix que le pays pourra véritablement amorcer son renouveau démocratique et institutionnel.

Alioune Ndiaye Expert en développement international Écrivain Militant de la Transformation Nationale

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